mercredi 18 mai 2011

Otto Dix, les joueurs de skat

Titre : les joueurs de skat
Auteur : Otto Dix
Date : 1920
Dimension : 110×87 cm
Technique : Huile et collage sur toile.
conservée à la galerie Nationale de Berlin

Otto Dix (né le 2 décembre 1891, mort en 1969) est un peintre allemand de La Nouvelle Objectivité et de l'Expressionnisme. Il est issu d'un milieu ouvrier,  mais reçoit une éducation artistique par sa mère qui s'intéressait à la musique et à la peinture.A la proclamation de la première guerre mondiale, il s’engage avec enthousiasme comme volontaire dans l’armée allemande, il y tient un journal graphique pour dessiner ce qu'il voit et ce qu'il ressent, près de six cents pièces dessinées avec les moyens du bord, du fond de la tranchée.  Il est gravement blessé plusieurs fois sur le terrain et l'horreur de la guerre l'affectera et le traumatisera profondément comme en témoignent nombre de ses travaux.
La montée du nazisme oblige Otto Dix à quitter son poste de professeur à l'Académie, étant considéré comme un artiste dégénéré,Dix est persécuté par les nazis à l’instar d’autres artistes comme Kandinsky ou Max Beckman. Il est arrêté en 1938 et enfermé pendant deux semaines par la Gestapo pour complot contre Hitler, puis il est relâché en 1939.


DESCRIPTION
Au second plan on trouve sur la droite un porte manteau , au dessus des trois hommes sont affichés des articles de journaux allemands qui font référence au conflit Franco-Allemand pendant la première Guerre Mondiale  et en haut à gauche du tableau un lampadaire (où l'on distingue une tête de mort) éclaire la scène. Au centre de son tableau on peut voir les trois personnages principaux jouer aux cartes assis autour d’une table à la terrasse d'un café le soir . Le premier personnage, celui de gauche est un homme. On ne peut pas lui donner d’âge tellement sa peau est abîmée. Cet homme est disproportionné, il a une jambe de bois et joue aux cartes avec le pied qui lui reste. Le joueur dont la manche droite est vide, sort de sa manche gauche une main articulée avec laquelle il pose ses cartes sur la table. De son oreille part un tuyau qui lui permet d’entendre la conversation. Il doit avoir perdu l’audition lors de la guerre. Le second personnage, au centre, joue aussi aux cartes. Il lui manque une partie de la peau de la tête: il a été scalpé. Il a deux moignons à la place des jambes qu’il a perdues à la guerre. Si on regarde son corps on voit qu’il n’est fait que d’os, il n’a pas de peau. Ce personnage a un œil de verre et n’a pas d’oreille. Le troisième personnage n’a pas de jambe , il est posé sur une sorte de socle en fer. Contrairement aux deux autres personnages il a ses deux mains mais l’une des deux est articulée comme un robot et l'autre est aussi une prothèse. Sur son veston il porte une croix germanique: signe de ralliement des Allemands.
Les mutilations renvoient bien sûr à la violence subie pendant la guerre mais aussi de l’impuissance des médecins à réparer les corps dont témoigne le recours à l’appareillage prothétique. Celui-ci s’apparente à une forme de camouflage ou de cache misère : il s’agit de tenter de rendre invisible les destructions subies. Ainsi, chez le joueur de droite, au-dessus de son col officier, une prothèse tente de combler l’absence de mâchoire inférieure. Son articulation repose sur un système de poulies qui masque en partie, une large cicatrice de la joue gauche. Un assemblage de pièces en aluminium soutient sa lèvre inférieure fournie. L’extrémité du nez du joueur de droite est recouverte d’un bandeau en cuir noir noué autour de sa tête. La coiffure est soignée, l’œil et le sourcil du côté apparent semblent avoir été épargnés. Sur sa prothèse, Dix a apposé une inscription. Le joueur du centre a posé une partie de ses cartes sur la table, les maintenant droites par le biais d’un support en argent. Il tient le reste de sa donne dans la bouche. Son visage, comme celui de son voisin de gauche, porte une prothèse qui remplace sa mâchoire inférieure sans parvenir toutefois à dissimuler une perte de substance importante de la joue gauche. Il porte une demi-moustache noire relevée. Son œil gauche est fixe, artificiel.
Si on s’intéresse aux couleurs on voit qu’il n’y a pas de couleurs vives. Toutes les couleurs tournent autour du verdâtre, noir, et bleu foncé. On voit aussi que les lignes du tableau sont très confuses. Elles sont toutes cassées. Il n’y a pas d’équilibre dans le tableau. Ces lignes confuses et ces couleurs froides mettent le spectateur très mal a l’aise tout en l’amenant à accepter les idées du peintre. L’utilisation du clair/obscur nous révèle les corps d’anciens soldats démembrés. On note ainsi l’absence quasi-totale de membres inférieurs, remplacés par des pilons ou des jambes de bois articulées. Ces trois caricatures sont donc vraiment exagérées. Ils sont difformes , estropiés, affreux. Peut être qu’Otto Dix les a peints de telle sorte qu’ils fassent peur aux gens?
 Dans les Joueurs de Skat, Dix concentre toute son attention sur les dégâts faits aux corps. D’ailleurs la minutie avec laquelle il s’applique à représenter les mutilations oblige le spectateur à un effort de représentation du réel, qui apparaît à ses yeux presque irréel. Le recours à la technique du collage renforce l’idée d’un assemblage des corps réalisé à partir de pièces hétéroclites. En effet, aux corps disloqués s’ajoutent des corps étrangers, les prothèses intégrées ou imbriquées dans les corps. Les corps apparaissent ainsi mécaniquement assemblés.Mais Dix parvient à métamorphoser l’effroyable et le hideux en grotesque voire en ridicule. Dans l’exhibition tout d’abord par les anciens combattants de leurs propres mutilations, dans le fait qu’ils trouvent dans leurs blessures une fierté, une forme de valorisation voire d’héroïsation. Le joueur de droite porte d’ailleurs sa Croix de Fer. La perte de dignité est poussée ici jusqu’à l’impudeur comme le souligne le sexe apparent du joueur de droite. Les corps ressemblent à des marionnettes, à des pantins mécaniques, il ne s’agit plus que de reliquats de corps, conséquence de la folie guerrière. Le ridicule se retrouve ensuite dans les prothèses auditives que Dix représentent comme un jouet : le joueur de gauche porte un tuyau qui part de son oreille droite jusqu’à une petite cornette posée sur la table ; de même que chez le joueur qui fait face, sort de son oreille gauche, comme son voisin de droite, une sorte d’amplificateur.
 Ici les trois joueurs nous montrent leurs jeux. S’ils semblent avoir les cartes en main, le contenu est dévoilé parce « les jeux sont faits ». Ces derniers étaient même truqués puisque l’on remarque deux cartes identiques. Leur destin leur a échappé, il était écrit. L’expression des joueurs traduit également le sentiment qu’ils ont de leur propre perte et que celle-ci est due à un hasard arbitraire et tragique. Les cartes sont ici retournées comme le sont leurs enveloppes corporelles. Une précision méticuleuse sur lequel repose le substrat du travail de représentation pictural du trauma d’Otto Dix.





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